La Guerre de la vache

Un soir, après le retrait de la FAAC. Je bavarde avec mes adjudants katangais quand un soldat du poste de la palmeraie arrive en
courant.

          - Ma Capitainer, mbyo, mbyo, kuya, nyama mingui !

On a compris les paroles mais dans quel sans? Un gros gibier ?

Samuel prend la lampe torche et moi mon FAL. Sur la route, à l’approche de « gros gibier », la vérité me saute aux yeux : une vache ; la
pauvre bête cherche quelqu’un pour la traire.

J’hésite mais Samuel me souffle « nyama mingui »….

Il a raison. Elle  a beau être maigre à faire peur, elle représente un beau morceau de chair fraîche.

Une balle de FAL en plein front. « Ils » ont mangé l’animal en une seul fois. Samuel m’avait réservé et préparé lui-même un beau
morceau de la cuisse. Découpé au machette et grillé au feu de bois, il était dur comme le cœur d’un avare mais, bon sang, quel délice !

Les guignols au mortier continuent à nous harceler. Les T-28 et les T-6 les cherchent sans les trouver. Histoire d’encourager les soldats,
Coucke et moi prenons l’habitude de nous promener sure le parking des avions. Un après-midi, nous déambulons quand un sifflement
caractéristique annonce l’arrivée d’une bombe. Coucke ne bouge pas, moi non plus. Le projectile explose sur la route ; des «éclats
passent fort près à mon goût. Depuis, mes soldats considèrent que nous avons tous les deux un dawa très, très puissant.

Flatteur mais ils prennent la fâcheuse habitude de nous accompagner dans nos promenade….

La fin du mortier

En début de soirée, Coucke décolle à bord d’un des T-6. De loin, je vois l’avion piquer et lâcher ses roquettes. Quand il revient, Coucke
me dit qu’il pense avoir détruit le mortier ou tout au moins le camion de nos empoisonneurs.

En effet, dès lors, le harcèlement cesse. Dans un récit officieux, la 5è Brigade affirme, elle aussi, avoir neutralisé ces guérilleros. Je
crois en la bonne foi de l’un et de l’autre d’où une conclusion : il devait y avoir deux équipes, l’une opérant de la rive gauche du fleuve,
l’autre, de l’autre côté de la Lowa.

Des Européens

Cette affaire de un ou deux mortiers conforte une idée qui me chipote depuis celle du sniper de la palmeraie. Dans ce dernier cas, mes
pisteurs katangais m’ont toujours affirmé qu’il ne s’agissait pas d’un Noir. Ils fondaient leur opinion sur les rares empreintes
découvertes.

Pour nous harceler de si loin, un mortier de ce calibre doit soit disposer d’observateurs guidant le tir par radio, soit le régler sur carte. Le
premier cas me semble exclus et le second exige des solides connaissances et pas mal d’expérience, surtout qu’il faut se montrer très
mobile pour échapper aux avions.

Beaucoup plus tard, j’apprendrai que des éléments de l’ANC ont repéré des Blancs dirigeant des attaques de muelistes.

Cet encadrement expliquerait l’existence de troupes rebelles aussi disparates : les unes composées de guerriers drogués et barbares,
les autres, moins nombreux ses mais plus dures, plus disciplinées, mieux entraînées.

Il suffit de regarder vers les payes du bloc communiste pour identifier les coupables.

Ecrire au père de Jean Bayeux, triste privilège et devoir d(un commandant d’unité. Douloureux surtout, je connais cette familles depuis
des années (sans jamais l’avoir dit à mes camarades). Nos pères ont servit ensemble avant guerre au 3è Régiment de Chasseurs
Ardennais à Vielsalm. La vie et surtout la guerre les ont s »parés. En 1950, Bayeux et ses deux fils ont rejoint le Bataillon Corée comme
volontaires. A son retour, Jean a préféré rester à la F Aé, aux UDA.

J’écris donc au père pour lui dire combien j’estimais son fils, son courage, son allant ; pourquoi je lui confiais à lui et à son peloton, le
meilleur, les missions les plus délicates.

J’étais sincère, je le jure, il ne s’agissait pas de formules stéréotypées. Cette lettre partit aux bon soins de VS1 (j’ignorais l’adresse).
Elle ne reçut jamais de réponse.

Par la suite, j’envoyai au père de Jean une photo du panneau de l’entrés du camp U.Def de BaKa, portant le nom « Camp Adjudant Jean
Bayeux ».

Aucune réponse non plus. Plus tard, à Vielsalm, un ancien du 3Ch A me répéta un mot de m. Bayeux : « Servait ne m’a jamais écrit à
cause de son père ».

Je n’ai pas à expliquer le pourquoi de son amertume, mon père n’a jamais éprouvé de rancune à l’égard de son ancien camarade, même
au contraire, de l’admiration pour sa conduite en Corée. Jamais non plus, il ne se serait permis de me dicter ma conduite d’officier.

L’enquête orientés.

Peu après l’accident du DC-4, deux officielle de BIAS débarquèrent à Stan pour enquêter sur ses causes. Le calme régnait sur
l’aérodrome. Par contre, côté ville, on tiraillait ferme. Les différents postes ouvraient le feu sur n’importe quoi, n’importe quand, parfois
pour le seul plaisir de faire parler les « bunduki ». A chaque rafale d’un poste répondait le tir d’un ou plusieurs autres, à tout hasard.

Et à chaque fois, nos deux visiteurs sursautaient. Coucke serait-ce que voir la carcasse calcinée de l’avion. De retour à notre P.C., ils
acceptèrent avec plaisir le grand whisky sec offert par Coucke.

Nous comprimes très vite leur position : pas question d’imputer l’accident à une erreur de pilotage.

Il fallait trouver autre chose : un rebelle embusqué dans le fossé. Il avait soit tiré dans un pneu soit projeté un fût vide devant les
roues. L’appareil, déséquilibré, avait dévié de sa course pour s’écraser dans le fossé où il avait pris feu.

Je protestai : impossible, mes patrouilles inspectent régulièrement la piste est ses abords, un ratissage avait eu lieu peu avant le
dernier décollage de la journée, en l’occurrence celui du DC-4.

Coucke interrompit la palabre naissante en servant un autre verre. Son œil me lança un « tais-toi » impératif. Soulagés, nos visiteurs
décollèrent pour Léo sans même me demander si la piste avait été inspectée.

Dans l’intérêt de nos amis, m’expliqua alors Coucke, il ne peut s’agir d’une erreur de pilotage. " Personne ne t’en rendre responsable ni
toi ni ton U Def. Tout le monde connaît la vérité…" Tout le monde savait, en effet, que l’équipage de DC-4 n’ était plus en état de
prendre l’air.

Le retour de la FATAC.

Le Capitaine BEM Closset, officier opérations de la 5è Brigade Mécanisée vient me voir de temps à autres. Le 6 décembre, il m’apprend
que la FTAC va rejoindre Stan ; quelque part, quelqu’un a cédé. Faute de liaison radio ne puis savoir quels cadres vont me rejoindre et
ne puis demander de leur adjoindre une section de réserve pour combler les vides : trois quarts de section, manquent.

En effet, les enquêtes discrètes de mes adjudants katangais ont abouti à l’arrestation des trois trafiquants d’alcools. La Police
Militaireles a emmenés et nous n’entendrons plus jamais parler d’eux.

Samuel, chef du 1er peloton, a été bien formé par Jean. Il mène les autres adjudants et me fait rapport chaque matin. J’apprends ainsi
que cinq soldats ont disparu. Déserteurs, selon Samuel. Eux non plus, nous ne les avons jamais revus.

Si je compte le blessé du crash, il me manque neuf soldats, les trois-quarts d’une section. Il faut faire appel à nos maigres réserves de
BaKa.

Comme Closset  l’avait annoncé, la FATAC revient. Le 8 décembre débarquent le « King », Carlier, Lemmens et Hoornaert. Ouf !

Carlier et Lemmens…Je me souviens d’un mauvais tour que je leur ai joué. Le lendemain du crash du DC-4, je les ai emmenés en jeep
au bout de piste, armés, comme moi de leur seul GP. J’ai coupé le moteur, allumé une cigarette et leur ai conseillé d’écouter les bruits
de la brousse.

Si le silence se fait, attendez-vous à un ou plusieurs intrus.

Ils n’ont pas bronché. Quand j’ai estimé l’épreuve suffisante, j’ai remis en marche pour regagner le PC. Ils avaient passé l’épreuve des
nerfs. Je ne voulais tester que leur résistance nerveuse.

La balade.

Maintenant assuré de mon remplacement, je puis enfin songer à moi. Une dent abîmée me fait souffrir l’enfer. BaKa m’accorde
l’autorisation de m’absenter 48 heures pour aller voir un dentiste à Léo.

Aller en C-130, rapide et pas confortable du tout.

A Léo, je retrouve des amis qui m’hébergent. Les Van Oberg me conduisent dans une des cités où j’achète à un bijoutier sénégalais une
« Croix du Sud » pour Mimie. Le dentiste doit opérer en deux fois, je n’aurai pas d’avion de retour avant le 15. Heureusement, le
dentiste pourra terminer son travail.

Pour ne pas perdre de temps, je fais quelques visites entre autres à Godefroid Munongo, l’ex-ministre de l’Intérieur du Katanga, devenu
dans la même fonction, celui du Congo. Nous évoquons quelques souvenirs et il m’encourage à continuer dans le sens du Colonel
Bouzin.

Le hasard me fait rencontrer un « pays », Guy Andrianne ; il a épousé une amie d’enfance, Bernadette. Tous deux avaient deux
magasins à Kindu, « Lui », par lui, « Elle » par elle. Ils avaient doublé ces boutiques à Léo et Guy me rhabille en civil contre la
promesse d’aller rendre visite à sa femme à Vielsalm lors de ma prochaine permission.

Autre rencontre, un autre Arlonnais, Yvon Yungbluth. Il m’offre l’hospitalité dans son appartement, boulevard du 30 Juin.

Finalement, un C-130 décolle de léo. Sacré voyage ! D’abord Kamembe puis E ‘ville : retour à Léo et enfin BaKa.

Je passe une nuit dans ma chambre de célibataire et en fais l’inspection. Quelqu’un m’a « emprunté » mon imperméable de combat, mon
service dress a verdi sous l’effet de la chaleur et de l’humidité…

Le lendemain, pas très heureux, je rejoins Stan par DC-3. Avec une bonne nouvelle : le relève est pour bientôt.

Même si je ne devais jamais revenir au Congo, je me souviendrai toujours de ce voyage de retour Léo-BaKa. Même vu de très haut les
C-130 volent haut - le paysage est splendide. Quelle honte de gâcher pareil pays !

La relève.

Stan reste calme. Je fais occuper au Congo Palace les chambres réservées pour la FATAC. A l’aérodrome, un officier de garde veillera la
nuit. La liaison sera assurée par la jeep armée

A quelle date avons-nous été relevés ? Je ne sais plus mais nous avons passé la réveillon de Noël à la Base. La grande salle à manger
s’ornait d’un sapin spécialement envoyé de Belgique, le menu de réveillon fut fameux et nos serveurs africains s’étaient déguisé en rois
mages…

Que faire en attendent le DC-6 ? Suivre le conseil du patron : redevenir civilisés et préparer ses bagages.

J’y ajoute une troisième préoccupation : songer à la relève de la 1è Escadrilles. L’U Def manque de cadres, la plus part des instructeurs
sont en opérations ou en voie d’y partir et je ne veux plus de Jean Pigeon même comme chef instructeur à BaKa.

Le retour

Notre DC-6 décolle tôt le matin de BaKa. Comme nos ordres le précisent, tous le monde voyage en civil. Depuis la prise de Stan, les
pays « progressistes » d’Afrique ont interdit le survol d’avions militaires belges. Nous allons voyager…

A midi, nous mangeons au restaurant de l’aéroport de léo. Succulent. Autant en profiter avant l’escale de nuit à Lagos .

Lagos, nous allons y passer la nuit au Federal Palace. Deux épreuves avant d’y arriver. D’abord, avant de débarquer, un employé très
british dans son short à rallonges (sauf que le bonhomme est d’un beau noir) désinfecte notre cabine. Deuxième : le chauffeur de bus
est complètement noir de peau et d’alcool. Il roule comme un dingue dans une banlieue sinistre. Et en plus, il chante !

Nuit calme, la climatisation rend la chambre agréable. Au petit matin, un lunch solide et en route.

Dakar à midi. Déjeuner de bonne cuisine française. Je me fait truander en achetant au free shop de parfum français pour ma femme. On
paie en dollars…le double du prix. La vendeuse est bien gentille mais elle ne me reverra plus.

Tard dans la soirée. Escale sur un aérodrome militaire espagnol aux Baléares. Des officiers espagnols nous reçoivent dans leur mess. Le
cognac arrive par rafales. Un peu sonné, je sors prendre l’air et m’assieds au pied d’un lion de pierre gardant l’entrée du mess. Une
vision me fait douter de moi-même quand une voix derrière moi m’interpelle :

          - Est-ce que tu vois ce que je vois ?

Puis une autre, celle du Colonel :

          - Si vous voyez ce que je vois, je vous interdit de toucher encore un verre d’alcool.

Devant nous, sur la route, passe une caravane de chameaux. Un collègue espagnol nous explique qu’ici, ces animaux servent à tout, de
l’agriculture au transport. Nous allons faire une petite promenade sur le tarmac pour y découvrir une escadrille de bimoteurs allemands
de la deuxième guerre, Heinkel et Dornier.

Normal, explique le Colonel revenu comme nous des ses émotions, cette escadrille est chargée de la surveillance maritime. Sans leurs
bombes, ces vieux machins volent longtemps et pas trop vite…

Embarquement pour la dernière étape. Le cognac aidant, tout le monde dort paisiblement. Nous atterrissons à Melsbroek militaire tôt le
matin.

Nos familles nous attendant. La permission commence.

                                                                                                                                                                                   © Eric Van Heuverswyn                                             

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Extraits du journal personnel du Commandant de l’Aviation August Servais
Mise en page par Eric Van Heuverswyn