Présages ?

Le lendemain, le C.O. m’invite à un apéritif en a parte. Avec des précautions paternelles, il m’apprend que ma femme ne se porte pas
très bien et me « conseille » (je comprends l’ordre) d’avancer ma permission en Belgique ; si j’ai des affaires à régler à Léo, que j’y fasse
un saut.

Soit, allons à Léo . freddy Lacroix m’annonce la prochaine fourniture de vêtements et de souliers de sortie mais l’ANC se montre très
réticente à fournir des armes. Je loge chez mon ami Philippe Geerts. Nous avons fait connaissance comme voisins du même immeuble
Bruxellois. Séduit par mes récits du Katanga, mes films, mes photos, il a décidé de tenter sa chance à la Banque du Congo et vit en
célibataire en attendant sa femme. Yvon Yungbluth m’a prêté une voiture et je me déplace à mon gré. Le soir, Philippe et moi allons
manger chez « Jésus », sauf un soir où Godefrois Munongo m’invite.

Nous évoquons nos souvenirs katangais (il y était ministre de l’Intérieur, avec Tshombe à Léo, il a repris les même fonctions mais pour
tout le Congo.)

Il prend un air sérieux. Je résume :

          - Le Président (Tshombe, bien sûr) et son parti gagneront les prochaines élections mais il faut craindre la jalousie de Kasavubu
            capable de tout pour conserver son trône de président de la République. Il irait même jusqu’à utiliser les ambitions de Mobutu 
            pour retourner la situation en sa faveur.

          - Les U Def ont fait grande impression sur Tshombe. Il a besoin de bonnes troupes fidèles pour contrer toute tentative de coup
             d’Etat.

          - Continuez comme vous le faite, malheureusement nous n’avons plus guère de moyen de vous aider. Mobutu interdit toute
             livraison d’armes aux Katangais.

          - Prudence. Si le Président tombe, tout le monde - il insiste sur « tout le monde » - tombera avec lui…

Je quitte plutôt songeur. Il y a du complot en l’air et je n’aime pas cela.

                                                                                       **********

Retour à Baka pour mes bagages. Je reviendrai de Belgique début avril.
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Enfin, nous avons récupéré des conteneurs de roquettes auprès des « Cubains ». Remplis de terre et disposés devant les fenêtres de la
tour de contrôle, ils nous mettent plus ou moins à l’abri des éclats et des balles perdues. Durant la journée, des « sonnettes »
surveillent la piste et ses abords, des patrouilles circulent dans les environs pour créer notre zone d’insécurité.

Ainsi aménagé, l’aérodrome est devenu une forteresse imprenable, un os d’autant plus dur à croquer que deux escadrilles l’occupent dont
une détache par rotation un peloton à Paulis et plus tard à Bunia.

En toute modestie…

Par pur hasard, un séjour à Paulis coïncide avec une visite de Moïse Tshombe. Toute la garnison katangaise rend les honneurs. Les
compagnies s’alignent le long de la piste sur le moitié de sa longueur, U Def à hauteur de l’avion du 1er Ministre.

Tshombe examine longuement mes hommes, me dévisage et sourit à la vue de « son » ancien commandant de la 1re Compagnie de
Prévôté Militaire d’E’ville.

Quelques jours plus tard, campagne électorale oblige, visite du ministre de la Justice, originaire de la région. En prévision de cette visite,
ses partisans ont tué un éléphant dont ils distribuent la viande aux habitants de Paulis. Une boucherie !

Il m’invite à passer la soirée dans son appartement. Il me transmet les félicitations et le meilleur souvenir du « Président ».

(Les partisans de Tshombe persistent à lui donner son ancien titre katangais. Hommage flatteur mais dangereux, Kasavubu en prendra
ombrage, par jalousie et crainte de voir le katangais lui ravir sa place. Mais ceci est une autre histoire…)

Le ministre conclut : « Le Président m’a dit combien vous êtes fidèle…et dangereux…pour les rebelles. » Ah bon ?

Pour tous le monde, en voici la preuve.

En route pour Baka, escale obligatoire à Stan où j’arrive au Congo Palace en fin d’après-midi. Bain prolongé avant l’apéritif au bar.

Surprise. Le C.O. s’y trouve avec quelques officiers supérieurs de l’ANC et des civils congolais très B.C.B.G. Je salue le Patron mais je
comprends ne pas devoir traîner dans le coin. Ces messieurs boivent à part et vont manger de même.

Début de soirée, dans ma suite (chambre à coucher, salle de bains, salon) j’écris à ma femme puis vais me coucher. Pas de question de
dormir. Des dizaines de chiens abandonnés tournent autour de l’hôtel se rassemblent sur un rond-point, ils donnent des concerts de
hurlements. Excédé, je me lève et vide un chargeur de FAL non pour tuer mais pour leur faire peur.

Malheur de moi. Qu’ai-je fait ? Tous les postes de la vil ouvrent le feu au hasard et cela dure, dure…Le lendemain, au petit déjeuner, le C.O. m’interpelle : « Tu l’a fait exprès !

Devant mon air sincèrement interloqué, il s’explique. Les beaux messieurs d’hier soir représentent la commission d’attribution des primes
de danger. Ils avaient l’intention de les supprimer à la garnison de Stan quand j’ai provoqué le feu d’artifice. Ils ont eu une telle pétoche
qu’ils ont re-décollé le soir même pour Léo. J’ai beau jurer que je ne l’ai pas fait exprès, j’arrivais de Paulis, je n’étais au courant de rien,
le C.O. rit de bon cœur mais il s’abstient de me féliciter.

Le dîner chez Oscar.

Retour à Baka. André Laufs me communique un message de mon vieil ami Oscar, boucherie pour Africains à Kamina Ville : il se plaint de
ne plus me voir ; serais-je devenu « trop grand » pour lui ? Il m’invite à dîner… Après un préavis de 48 heures, j’y vais. Ban sang ! Oscar
n’a pas maigri, sa maman non plus, à eux deux ils doivent atteindre les 200 kilos.

En 1961, nous lui avons donné notre caniche. Elle ne me reconnaît pas, elle a doublé de volume et de poids. Dame ! Elle vit (bien) chez
un boucher.

Trois semaines à Paulis m’ont encore fait perdre quelques kilos : j’ai surtout faim de viande ; à Paulis, j’ai vécu au régime sardines et riz.

Oscar accompagne l’Uzzo de viande fumée. Je crois avoir fait le plein quand la maman sert le dîner : asperges, haricots verts, frites et
une entrecôte de taille. Je ne recule pas : quand j’en ai fini avec ce plat, Oscar me révèle son poids : 1 kilo 200. Un moment de honte
passe vite mais j’avoue avoir trouvé le trajet fort long jusqu’à Baka, ma chambre, mon lit et une sieste…
Depuis Paulis, je sais que les rebelles utilisent des roquettes meurtrières pour les blindés légers. On enterre le nouvelle M8 dans un
trou, seule la tourelle dépasse et son tir couvre 270° en laissant derrière elle un champ mort dont je parlerai plus loin.

Différents trocs et échanges nous apportent un canon antiaérien Bofors de 40 mm, approvisionné à 50 coups seulement mais il prend la
piste et ses approches en enfilade tout en recoupent le feu du 37.

Autre acquisition, une .50 Madsen suédoise à canons jumelés. Elle aussi enterré, elle couvre piste et abords. Le piège, le « Killing
ground » est posé sur le flanc. Le fossé d’irrigation a été piège selon les méthodes de la Gendarmerie katangaise : des milliers de
bouteille cassées et des bambous pointus. L’herbe pousse vite et cache ces « mines ». Des nids de F.M. camouflés sous des bouquets
de bambou couvrent le fossé et ses approches. Deux hangars à voitures d’aspect inoffensif ont été transformé en bunkers de fusiliers.
Les « Cubains » défendent leur propre hangar. A leur départ, ils nous laissent un canon de 37 mm et je fais transformer les bosses du
golf en bunkers. Ainsi, tout envahisseur venant de la ville y sera bien reçu.
Leemans et Riton
“Si quelque chose craque dans le dispositif de la 5è Brigade, Stan deviendra notre base d’évacuation ».

Je garde en mémoire cet ordre de Jan Vandepoel.

L’aérodrome devient la « Base U Def », Baka celle administrative et logistique. Cette base U Def va devenir une forteresse imprenable.

Un des adjudants (lequel ?) & découvert en ville une autre M8 dépourvue de moteur. La première remorque l’infirme jusqu’à l’aérodrome,
son canon de 37 mm sera précieux.
STANLEYVILLE AIRFIELD: LA FORTERESSE
Extraits du journal personnel du Commandant de l’Aviation August Servais
Mise en page par Eric Van Heuverswyn