Intermezzo

Les Vacances de Marc Carlier

Carlier resta à Punia pendant trios jours en compagnie de sept U Def Katangais. Les rebelles les harcelèrent par moments sans trop les
inquiéter.

Avec les « Cubains », on bricola un lance-roquette : sur l’escalier destiné aux passagers des avions, ils fixèrent des roquettes de B-25.
La mise à feu «était assurée par une pile de lampe de poche.

Le 3è jour, Carlier désespérait de la relève promise et était certain que l’avion avait été abattu par les rebelles. Il envisagea alors de rejoindre Stan à pied, la jeep 'Pouch' transporterait munitions et blessés éventuels.

Heureusement, un C47 venu de Stan les tira de là. Moteurs tournant, il embarqua tout le monde et un minimum de bagages.

A Stan, je l’accueillis par un euphémisme : « Alors, vous avez passé de bonnes vacances ? »

La sauce spaghetti.

Un soir, nous vivons encore dans la « villa Sabena », les jeunes préparent les inévitables et précieux spaghetti sur les réchauds à alcool.

Je rentre d’une inspection des postes de garde. On n’y voit goutte dans le P .C. et, bien entendu, du talon, je bouscule une des gamelles.

Pas d’hésitation, je ramasse les pâtes et les entasse dans la gamelle.

Ils n’ont rien dit mais je suis encore persuadé que ce fut à moi qu’échut ce plat assaisonné de manière très particulière.

29 novembre

Journée calme. Les partants bouclent leurs bagages, les autres écrivent les lettres pour leurs familles.

La soirée des malheurs

Journée calme, soirée catastrophique.

Au moments où je m’apprête à aller saluer les partants, un sous-officier katangais arrive en courant. On se bat dans le Guest House. Je rameute quelques soldats et nous fonçons. Un pandémonium. Les mamas hurlent, les cris des enfants couvrent tout. La moindre erreur risque de déclancher une émeute sanglante où nous n’aurons pas le dessus. Au bout d’un bon (ou mauvais) moment, je commence à comprendre l’essentiel.

Les mamas arrêtées hier ne sont que les « employées » de trois de mes soldats. Les MP qui les ont emmenées hier s’en servent depuis comme jouets et les vrais coupables continuent à vendre les alcools volés.

Palabres, ré palabres. Je promets d’arrêter les trafiquants et je m’y emploierai avec d’autant plus d’énergie qu’il s’agit de mes soldats qui déshonorant leur escadrille. Le vacarme est tel que je n’entends pas le crash.

Le DC-4 de la BIAS transportant nos amis vient de manquer son décollage.

Le pilote Léo de Bièvres et son équipage laissent la vie dans le crash mais hélas aussi, Jean Bayeux. Le commandant Liègois, Gilbert Mottard, Pierre Touré et Wouters y sont gravement blessés (Gilbert gardera longtemps une minerve) ainsi qu’un de nos soldats, Ilunga Eléazar. Ce dernier en dépit de ses blessures, retournera dans l’incendie pour aider à sauver les blessés.
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Extraits du journal personnel du Commandant de l’Aviation August Servais
Mise en page par Eric Van Heuverswyn
Stanleyville

Lodja, 23 novembre

Des “amis” (de la C.I.A.) nous on prêté une radio plutôt performante. Nous y écoutons les messages de la USAF, de BAKA et, presque
incroyable, les bulletins météo diffusés par la tour de contrôle de…Stan.

En fin de soirée, nous savons tout ou presque de l’opération « Dragon Rouge », le parachutage sur Stan et la jonction des para commandos avec les éléments avancés de la 5è Brigade mécanisée.

Stanleyville, 24 novembre.

Imperturbable, la tour de Stan annonce un épais brouillard. S’il persiste, les paras vont avoir des ennuis.

Brève concertation avec José Schepers. « Pinky » Carpels a déjà emmené ses deux « bananes ». Nous n’avons aucune instruction.
Alors, on fonce ?

On fonce.

Marc Carlier restera à Punia avec une demi section. Il gardera les bagages ; on reviendra le chercher dès que possible. Débarrassés de leurs impedimenta, dotés en tout et pour tout de deux jours de munitions, nous arrivons à embarquer cinq sections dans les deux DC-3. Ils effectuent un atterrissage court de toute beauté sur la piste de Stan. Les U Def déboulent pour se former par sections, prête à l’action.

Il ne s’agit pas de cinéma. Je veux montrer aux paras que ce renfort en vaut la peine.

Au temps pour moi ! Je trouve d’abord le LCL Avi « Steve » Caillaux : il m’envoie à un colonel para entrain de charger un de leurs curieux
véhicules. Il m’envoie à un autre…

Enfin, je trouve un interlocuteur valable.

Il me demande de pousser une reconnaissance sur le flanc de l’aérodrome, dans une savane boisée aux herbes plutôt courtes.

Jean Ballieux et son 1er peloton s’y engagent pour revenir une heure plus tard avec une trophée une mitrailleuse .50 chinoise. Ses utilisateurs, les Simbas, avaient tout simplement oublié d’en enlever la graisse de stockage. Une cartouche engagée dans la chambre en
est restée là, le percuteur est resté bloqué dans sa graisse.

Ouf ! Elle aurait dû balayer la DZ des paras !

Pendant ce temps, j’ai été jeté un coup d’œil sur l’accès de l’aérodrome par la ville.

Des paras m’ont averti, des snipers tirent sur tout ce qui bouge. Comme d’habitude, ils tirent trop haut mais je décide d’aller faire untour par là avec une section.

Idée malheureuse. Nous nous faisons allumer par les snipers, par les paras et par une auto blindée de la 5è Brigade qui traînait par à la.

Repli sur une villa « Sabena » où séjourne déjà le 1er peloton. Les soldats mangent leurs provisions emportées de Punia, nous grignotons les derniers biscuits de nos rations.

Vers le milieu de l’après-midi, j’en arrive à un accord avec un officier supérieur des paras. Nos expériences nous ont appris qu’il valait mieux séparer les deux unités, surtout pour la nuit.

L’U Def va protéger le flanc droit des paras.

La 1è Escadrille va se déployer en longueur: un road block à Mbeli-Mbeli, le long de la rivière à hauteur de la mission catholique. Je lui adjoins un deuxième F.M. et lui donne un ordre: en cas de gros pépin, se replier en combattant sur Gilbert Mottard. Il restera, lui, à hauteur d'un village (nous l'avons "nettoyé" dans l'après-midi, sans casse mais avec des menaces à faire blanchir les plus noirs).

Gilbert doit servir de point d'appui au road block et assurer la charnière avec le Groupe de commandement. Celui ci, avec un peloton diminué, se tiendra entre ce village et l'aérodrome pour assurer la liaison avec les paras. Ils m'ont promis une liaison par jeep.
De la palmeraie, un sniper nous énerve par des tirs sporadiques. Heureusement, chacun reste dans son trou. Pas de chance. Les paras ripostent à ces tirs mais sur les positions de l’U Def.

Un mot d’ordre est passé : Sipicca bulé. Ne tirez pas. Nos soldats obéissent et ne ripostent pas mais les tirs des paras ne cessent de toute la nuit.

Sur mes ordres, Pierre Tourré, et lui seul, répond au jugé à ce sniper. Sans autre résultat de provoquer les réponses des paras.

Depuis Punia, je souffre d’une résurgence de dysenterie amibienne. Au petit matin, je sors de mon trou pour me soulager. Une rafale de F.M. me fait plonger, pantalon baissé, à l’abri de mon fossé.

Un peu plus tard, Gilbert accompagné de Jean Bayeux viennent pour reprendre le contact, les tirs de la nuit les ont inquiétés.

Heureusement ! Mottard voit du clin de l’œil la poussière soulevée par les coups de départ d’un F.M. Tous deux plongent en style olympique dans le fossé. Ecoeuré, je décide de retirer mes hommes de ce piège.

J’arrive à prendre contact avec un lieutenant para et lui passe un savon copieux.

Explication du manque de liaisons : « Nous ne pouvions faire confiance dans la discipline de tir de vos troupes indigènes. »

N’empêche. Hier soir, un de nos adjudants des Télécoms a été tué alors que, monté dans un arbre, il assurait une antenne. Une balle en plein front. On a toujours accusé un sniper rebelle…A moins que…

Nous avons un blessé parmi les U Def, Ilunga Stéphane. Blessure heureusement légère mais qui ressemble furieusement à l’impact d’une balle de FAL.

Pour éviter le retour des incidents de la nuit dernière, je conviens avec un LCL para de bien séparer nos unités.

Mon peloton s’installe avec le groupe de commandement dans une villa de la série « villas Sabena ». Nos patrouille cantonneront au flanc de l’aérodrome jusqu’au road block. Cela fait des kilomètres à pied, nous n’avons pas de véhicule.

                                                              Nuit du 25 au 26 novembre

Pas de patrouille nocturne mais pas question de repos, un petit groupe de rebelles nous envoie du mortier de 81 mm. Je me promène entre les soldats pour les rassurer. Nos rations sont épuisées, la faim s’ajoute au manque de sommeil.

La dysenterie m’a repris. A la recherche d’un endroit ad hoc, je parcours d’autres villas où des paras sont installés. Certains ont fouillé les lieux et trouvé quelques sommes d’argent. Ils cherchent des conditions de change avantageuses.

Pire. Plusieurs de mes soldats se sont fait pigeonner par un ou plusieurs paras. Ils ont échangé plusieurs milliers de francs congolais contre des faux billets de 1000 francs belges à l’effigie de Théo Lefèbvre qui ont servi pendant la campagne électorale…

Je me plains de ce procédé à un capitaine para. Il hausse les épaules. Comment retrouver le ou les coupables ? Dans une voiture qui a tenté de forcer le passage, Gilbert a découvert un attaché-case. Il contient de l’argent et des notes rendant compte d’un entretien entre Gbenye (ou Soumialot.. ?) avec P.H. Spaak. Je partage l’argent entre les victimes de l’escroquerie. Les notes partiront pour BAKA à l’attention du C.O. Hélas, ce sera avec Gilbert, dans le DC-4 de BIAS. Elles seront détruites dans l’incendie de l’avion.

Dans la nuit, plusieurs C-130 ont emmené les para commandos aux parachutages sur Buta et Paulis (« Dragon noir ») L’U Def a gardé la piste. Défense purement symbolique : un orage tropical noyait tout, on n’y voyait pas à dix mètres. Nous admirons ces pilotes américains, ils ne connaissent pas l’aérodrome et décollent dans des conditions pareilles !

Quand à nus, le long de la piste, nous sommes trempés. Le froid s’ajoute à la faim et à la fatigue.

                                                                       26 novembre

Dans la matinée, visite du C.O. Il me prévient que les paras commandos quitteront Stan le lendemain. L’U Def restera seule pour la défense de l’aérodrome et je trouverai l’ensemble de l’escadrille dans les 48 heures. Pour dire la vérité, mes soldats ne valent plus grande chose et le cadre non plus, épuisé par les nuits sans sommeil et la faim.

Fort heureusement, une compagnie d’ex-paras Katangais vient cantonner près de l’aérodrome. Demain, ils participeront à un raid sur la rive gauche.

Leur chef, le SLT Munguluma reprend la défense rapprochée. Comme nous n’attendons aucun avion, cela suffira et nous pouvons prendre une nuit de vrai repos. Tant pis pour les bombes de mortier qui nous tombent dessus à intervalles très irréguliers. L’une d’entre elles touche la foule des réfugiés du Guest House Sabena.

Pas beau à voir !

                                                                       27 novembre

Les derniers paras s’en vont, nos amis katangais aussi. Un peloton nous rejoint de Kindu. Il devient possible d’élaborer une défense cohérente : des « sonnettes » le long de la piste, un seul point fort, la tour de contrôle et un hangar ; le P.C. dans la villa Sabena devient logement pour les hommes de repos ; je transfère mon P.C. dans la tour de contrôle.

Le mortier continue à nous harceler en dépit des reconnaissances armées des deux T-6 anxieux de le trouver ayant qu’il ne fasse vraiment mal.

Drôlement malins, ses servants ! Ils se déplacent probablement en camion ; mettent très vite en batterie, envoient une ou deux bombes et disparaissent. Ils n’ont rien des mulelistes plus ou moins abrutis et mal armés habituels.

Un autre malin aussi ; le sniper de la première nuit. Il agit depuis la palmeraie, tire sur les avions en finale, au moment où ils sont les plus vulnérables. Il a touché un DC-6 de la Force Aérienne, coupant un tuyau d’huile d’un moteur.

Jos & Schepers redoute les réactions des Américains. Si un de leurs avions encaisse ne serait-ce qu’une balle, ils pourraient refuser d’atterrir à Stan. Je pense comme lui et la présence de ce sniper dans ma zone de responsabilités m’énerve.

Après des battues infructueuses, je me décide à user d’une méthode originale mais risquée. Elle réussit, l’homme a sans doute été blessé, des traces de sang en témoignent. Nous n’entendrons plus parler de lui mais le C.O. me passera un savon monumental plus tard.

Les paras nous ont laissé des rations de combat, des munitions, des petits brûleurs à alcool pour réchauffer les boites de rations et deux jeeps blindées.

La 5è Brigade nous pique ces dernières en affirmant qu’elles leur étaient destinées. Je récupère des munitions pour armes de 9 mm, un mortier de 60 mm avec ses munitions en abandonnant celles pour les FAL à la voracité du peloton blindé de la 5è.

En visitant le hangar où les paras avaient stocké leurs provisions, Gilbert découvre une quantité impressionnante de spaghettis prêts à cuire, accompagnés de leur sauce. Le 28, nous allons faire le premier repas chaud - de spaghetti - depuis le 22 !

Toujours pas de ravitaillement pour nos soldats. Le S4 de la 5è Brigade attend que nous venions le chercher. Avec quoi ? Il nous faudrait un camion. Alors, nous nous servons directement des cargaisons amenées par le DC-3. Et nous nous servons généreusement.
De l'aérodrome au road block, cinq kilomètres. A pied, bien sûr. Nous commençons par là pour revenir vers nos positions.
Celle du Groupe de commandement m'offre qu'un fossé où chacun s'installe de son mieux. Les paras nous ont remis une demi-douzaine de prisonniers. Ils profitent des hésitations des U Def au moment de s'installer dans ce fossé pour tenter de s'évader.
Un feu roulant les envoie au sol. Les soldats les balancent dans un autre trou. Un blessé agonise toute la nuit en criant "Maman"...Impossible de le secourir, il est mort à l'aube.

Première nuit.

Il ne reste pas grande chose de nos rations K. On calme la faim comme on peut. Mal.                                                                  Dès la tombé de la nuit, on l'oublie.
Qui a trouvé la jeep Willys ? En attendant son aménagement en véhicule de combat, elle nous sert à tout.
Une bonne nouvelle n’arrive jamais seule. José Schepers a réussi à persuader un Cubain d’aller chercher le personnel resté à Punia. Marc Carlier arrive via Kindu.
Voici donc l’escadrille réunie et déjà, il faut songer à la relève des cadres. A l’origine, je pensais renvoyer les mariés et pères d’enfants pour passer la Noël en famille mais la FATAC ou VS 1 a avancé les départs. Mottard, Bayeux et Tourré partiront donc les premiers. Un nouveau problème se présente, il risque de me causer de gros ennuis si je n’y mets bon ordre.
Le Guest House Sabena abrite une nuée de femmes et d’enfants, familles des militaires de l’ANC en fuite.
Ces gens ont découvert et pillé les provisions d'alccols de l'ONUC et revendent ce poison à mes soldats. Certains deviennent littéralement fous. Je me fais aider par un peloton de police Militaire de la 5è Brigade; les MP procèdent à quelques arrestations mais il faudra remettre ça le 29.
Un des survivants, grièvement brûlé
Les suites d’une catastrophe.

Le LCL Avi Vandepoel vient nous rendre visite et vérifier notre moral. Je ne le vois que peu de temps, trop occupé avec l’escadrille. Mes Katangais ont pris un sale coup, ils ne pensaient pas qu’un avion piloté par un Européen puisse avoir un accident. Je redoute lesdésertions.

Le CO passe la soirée avec nous puis partage nos matelas posés à même le sol.

Le lendemain, toujours pour tenir mes hommes en haleine, je mène une forte patrouille pour tendre une embuscade, ce maudit mortier nous harcèle toujours. Il nous harcèle si bien que José m’envoie un coureur ; le tir s’est intensifié : on entend des tirs de mitrailleuses lourdes à proximité ; José redoute une attaque de l’aérodrome.

Retour au pas de gymnastique vers nos postes de combat mais rien ne se passe.

Le lendemain, patrouille de combat dans le village ; nous récupérons des munitions de mortier de 81 mm et de blindicide.

A mon retour, je trouve un message : les huit Européens de la FATAC doivent rejoindre BAKA aujourd’hui par C-130. Je constate l’effet que la nouvelle fait à l’U Def.

José m’explique les raisons de ce retrait. A l’annonce de la mort de jean Bayeux et les blessures des autres, un vent de panique a soufflé sur VB1. On s’y souvient soudain que nous n’aurions pas dû nous trouver là où nous sommes.

Entre VS1 et la FATAC, je l’apprendrai plus tard, les échanges messages ont fait bouillir les ondes hertziennes…

Je prends le risque d’énerver un peu plus le CO et lui envoie un message à peu près dans ce sens : Impossible de relever quatre Européens de l’U Def sans relever toute l’escadrille. Nos soldats croiraient à un abandon face au danger.

La réplique ne traîne pas : la relève aura lieu demain par C-130 mais Servais reste seul.

Me voici donc seul. Par la force des choses, le trafic aérien prend pas mal de temps et fort heureusement, il brille par sa rareté.

La solitude ne me pèse pas trop mais quelle rage de dents ! En dépit de la faim, je mange à peine ; un capitaine médecin congolais examine ma mâchoire ; il avoue son impuissance mais le dentiste le plus proche se trouve à Léo. Pas question de partir maintenant. Il faut souffrir en silence.

Des renforts


Quand était-ce ? Le 4 ou 5 décembre ? D’un C-130 débarque un parfait gentlemen, le major aviateur Coucke. Je ne lui jamais posé la question de savoir s’il appartenait à la FATAC ou à la FAC. A cette dernière à mon humble avis. Il partage avec moi le 1er étage de la tour de contrôle et surtout, prend en charge le trafic aérien. Ouf !
© Eric Van Heuverswyn
© Eric Van Heuverswyn